mardi 16 février 2021

L'éternelle légende de Robin des Bois

Il avait pour nom, selon les sources : Robin Hood, Robyn Hode, Robin of Sherwood, Robin of Loxley (ou Locksley), Robert Fitzooth, Robin de Courtenay, Sir Robert Hode ou Robert Huntingdon. En version française : Robin des Bois.
Le mythe initialement médiéval s'est transformé au fil des siècles, par adjonctions successives, sans perdre de son succès, évoluant avec les sociétés.

L'histoire de Robin des Bois puise ses sources dans le folklore médiéval anglais. Pour notre époque, il est devenu l'archétype du hors-la-loi justicier social héroïque, celui qui vole aux riches pour donner aux pauvres. Sa légende se raconte toujours avec des éléments indissociables du personnage : la forêt de Sherwood, le shérif de Nottingham, les joyeux compagnons, Marianne, une adresse exceptionnelle au tir à l'arc, etc..
Cet article est l'occasion de se replonger dans les origines de l'histoire, et de voir au fil du temps et des adaptations comment la légende de Robin des Bois a absorbé de nouveaux personnages et nouvelles situations pour devenir la légende qui nous est devenue familière.

** Les débuts de la légende

Les aventures de Robin Hood sont connues dès le Moyen-Age et se poursuivent avec un succès populaire non démenti au 16ème siècle. Avec le temps, elles finissent par être supplantées par d'autres styles, d'autres genres littéraires et d'autres héros. Elles connaissent toutefois une deuxième jeunesse au 19ème siècle avec Walter Scott, l'écrivain écossais, et à sa suite avec de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur le Moyen-Age qui avait été, un temps, oublié. 

En 1819, Walter Scott publie Ivanhoé qui renouvelle l'intérêt pour le roman historique et lui donne la forme moderne que nous connaissons (en France, en 1819, le jeune Alexandre Dumas n'a encore que 17 ans).
Dans Ivanhoé, Robin Hood n'a qu'un rôle secondaire, il est le chef des hors-la-loi, ses "joyeux compagnons", réfugiés dans la forêt. Il prend part à l'action lors d'un tournoi et surtout lors de l'attaque du château de Torquilstone aux côtés de Wilfred of Ivanhoe. Dans cette aventure, Walter Scott attribue à Robin la situation sociale d'un "yeoman", un paysan propriétaire de sa terre.

Alors, si l'on remonte aux sources médiévales, la première question qui se pose est celle de l'existence du personnage historique ? Inutile de vouloir trancher, des querelles d'experts durent depuis plusieurs siècles sur le sujet. Nombre de théories font référence à des personnages portant des noms similaires.
Une des dernières en date avancerait qu'il serait un mélange de plusieurs individus : un paysan proscrit de la forêt de Barnsdale vers 1225, Robert Hood de Wakefield vers 1324, soldat de Lancaster rebelle au service d’Edward II et Fulk Fitz-Warine, un baron révolté contre le pouvoir du roi Jean-sans-Terre entre 1200 et 1215.
Comme il existe une bonne dizaine de thèses "officielles" sur le sujet, voyons plutôt les sources avérées dans lesquelles le personnage commence à émerger. 

Les premiers éléments dont on dispose de façon certaine sur les histoires colportées sur Robin n'apparaissent qu'au tout début du 15ème siècle. Des fragments de récits sur ses aventures ? Même pas. Uniquement des témoignages de l'existence d'une légende populaire qui court à son sujet. Ainsi, la complainte "Dives and Pauper" évoque les gens qui préfèrent écouter "contes et chansons sur Robin Hood plutôt que d'aller à la messe". Plusieurs annotations de cet ordre dans d'autres sources de la même époque confirment que, déjà à ce moment, la légende circule.

 

** Le contexte historique de ses aventures

Toutes les déclinaisons récentes de l'histoire présentent Robin Hood comme contemporain de deux rois anglais : Richard Lionheart, Richard Coeur-de-Lion dont Robin est un partisan et John Lackland, Jean-Sans-Terre dont il est un opposant. C'est durant le règne de ce dernier, pendant que son frère Richard termine en Terre-Sainte sa 3ème Croisade, que Jean-Sans-Terre crée une vague de nouveaux impôts touchant durement le petit peuple (notamment pour payer la rançon du bon roi Richard fait prisonnier). Ce contexte économique entraîne un groupe de hors-la-loi à se retirer dans la forêt de Sherwood pour échapper à l'impôt et, par la suite, Robin à s'y rallier.

Le premier film sur le sujet, celui avec Douglas Fairbanks (film muet de 1922), fait de Robin un noble (Robert Huntingdon) trahi par le seigneur de Gisborne (dont on reparlera) obligé de se réfugier chez les hors-la-loi et devenant leur meneur jusqu'au retour de Richard.
Plusieurs films, plus récents, exploitent une autre idée, celle d'un Robin soldat de Richard accompagnant celui-ci lors de son retour moins glorieux de croisade jusqu'à sa mort en 1199 aux pieds du château de Châlus en Limousin. Robin retourne alors en Angleterre dans certaines versions pour y retrouver ses terres prises par le shérif de Nottingham, dans d'autres versions, il n'est que simple soldat.

Quelle que soit la version, le contexte historique placerait le déroulement de ses exploits au 12ème siècle. Ce décor devenu familier n'est pourtant pas celui qui apparaît dans les premiers textes.

Le genre littéraire qui diffuse et popularise la légende est la ballade. A l'image des chansons de geste françaises, les ballades anglaises étaient essentiellement orales. A l'origine, des chansons colportées par des ménestrels, puis popularisées et modifiées au fil du temps pour, seulement longtemps après, être écrites et imprimées.
La Lyttell Geste of Robyn Hode, est l'une des plus anciennes. Le texte est imprimé au début du 16ème siècle, entre 1492 et 1534. Il est à présent certain qu'il s'agissait d'une compilation de contes largement plus anciens.
Dans ce texte, le roi régnant se nomme Edward. Ce qui donne deux périodes de référence possibles du 13ème au 15ème siècle : pendant les règnes d'Edward I, II et III (1274 à 1377 ) ou pendant ceux d'Edward IV et V (1461 à 1483).
Les annales enregistrent déjà aux 13e et 14e siècles des cas de hors-la-loi prenant délibérément les pseudonymes de Robin Hood et de Little John, ce qui renforcerait la probabilité de la première période. 

** Personnages et évolutions

Une des premières ballades connues est celle de "Robin Hood and the Monk", Robin des Bois et le moine, texte figurant dans une collection de manuscrits rédigée vers 1450.
On y retrouve déjà quelques personnages et éléments d'histoire qui se retrouveront, pour la plupart, dans les adaptations à venir.

La forêt : elle fixe déjà le cadre du décor. Toutefois, les premières ballades ont pour cadre celle de Barnsdale dans le Yorkshire (80 km au sud de Nottingham). Par la suite, curieusement, l'histoire migrera vers la forêt de Sherwood au nord de Nottingham, sans doute plus proche de son shérif,  ennemi traditionnel de Robin.

Little John, Petit Jean : un personnage secondaire de cette ballade, mais déjà indissociable. Il dirige le groupe des hors-la-loi réfugiés dans la forêt avant l'arrivée de Robin. Une lutte est racontée entre les deux hommes, mais pas encore la version d'un duel au bâton pour la traversée de la rivière qui est plus moderne. L'illustration donnée ici date de 1912. Au cinéma, ce combat apparaît pour la première fois dans le film de 1938 avec Errol Flynn.

L'arc et les flèches : Autre épisode relevé dans cette première ballade, Robin et Little John participent à un concours amical de tir à l'arc à Whitby. Les deux hommes tirent chacun une flèche à plus d'un kilomètre. Les lieux "authentiques" où les flèches atterrirent peuvent être encore visités et sont connus sous le nom de Robin Hood's Close et Little John's Close.
L'arme emblématique de Robin est l'arc, pas l'épée. Seigneurs et chevaliers se servent de leurs épées pour des combats "nobles" face à face. L'arc est une arme "non noble", qui tue à distance, réservée aux combattants du peuple et qui convient bien à un yeoman.
Les premières descriptions du long bow anglais datent de la fin du 12ème siècle. C'est une arme dont les armées françaises ont pu percevoir à plusieurs reprises la redoutable puissance. En bois d'if, la tension peut atteindre plus de 45kg à 32 pouces, donnant une portée de l'ordre de 350m. De quoi mieux apprécier l'exploit cité plus haut. A noter qu'à cette époque, c'est la force des tireurs qui est admirable, pas la précision du tir qui sera privilégiée plus tard (avec cette tension de corde, on n'a guère le temps de viser et on tire au juger).

Le héros justicier : L'histoire contée dans cette première ballade est assez sanglante. Dénoncé par un moine félon, capturé par le shérif de Nottingham, Robin doit être conduit devant le roi. Ces deux derniers personnages deviennent désormais récurrents dans les adaptations.
Robin se débarrasse, sans trop de scrupules, d'un certain nombre de personnes et finalement, après bien des péripéties, le roi, impressionné et séduit par les talents d'archer de Robin, lui pardonne.
En la circonstance, Robin se fait justice davantage qu'il ne défend la communauté contre un système corrompu et unanimement détesté. L'image du justicier soutenu par le peuple opprimé n'est pas encore clairement établie.

Par la suite, d'autres morceaux de la légende vont venir s'agréger après cette première ballade. 

Sir Guy of Gisborne : il arrive parfois au shérif de Nottingham d'échapper au rôle du méchant de l'histoire. Sir Guy of Gisborne reprend alors ce rôle dans plusieurs histoires au 15ème siècle. Il apparaît pour la première fois dans "Robin Hood and Guy of Gisborne" (Child Ballad). Le rôle est ingrat, le personnage est fréquemment tué par Robin, parfois avec une violence extrême peu compatible avec notre image actuelle du charismatique hors-la-loi justicier..

Will Scarlet : aussi appelé suivant les contes, Scarlok ou Scathelocke - La traduction française en a fait Will l'écarlate. Il apparaît dans "A Lyttell Gest of Robyn Hode", l'un des plus anciens récits imprimés de Robin des Bois publié entre 1492 et 1534 mais vraisemblablement en reprise de contes manuscrits antérieurs vers 1450.

Friar Tuck, frère Tuck : n'apparaît dans la bande des compagnons de Robin qu'à la fin du 15ème siècle dans la ballade de "Robyn Hod and the Sheryff off Notyngham". Il connaît une grande popularité. Plébiscité, il apparaît régulièrement dans la suite des aventures.

Maid Marian : Comment raconter l'histoire de Robin sans parler aujourd'hui de la romance avec Marian ? (les versions françaises hésitent entre Marianne et  Belle Marianne). En fait, le personnage n'existe pas dans les premiers contes et n'apparaît qu'au 16ème siècle. 

Au début de ce siècle, le personnage de Robin est devenu moins subversif et il est même intégré aux célébrations de l'arrivée du printemps, chaque année, en Angleterre. En mai, des fêtes et jeux étaient organisés avec comme point d'orgue, l'élection des rois et des reines de mai. La tradition semblait établie pour participer à ces célébrations de reprendre les accoutrements des joyeux compagnons des ballades très populaires de Robin. Si le roi de mai était assimilé à Robin, il semble que l'origine du personnage de Marian était celui de sa reine de mai.

C'est aussi au 16ème siècle qu' Alexander Barclay rassemble pour la première fois dans un poème, Robin Hood et Marian. L'idée est lancée pour les contes et ballades suivantes, mais Marianne y est encore un personnage qui cherche ses racines : quelquefois bergère, servante, voire noble sous le titre de Lady Marian Fitzwalter de Leaford (elle figure sous ce dernier nom dans le film de 1922).

Cette origine pastorale est renforcée par l'influence que certains on pu voir tirée du "Jeu de Robin et Marion", la pièce écrite vers 1283 par le trouvère français Adam de la Halle, pièce sans rapport avec le contexte des aventures de Robin Hood. Les studios Disney ont admis cette influence et ont fait de Adam de la Halle l'un des personnages du film d'animation de 1973, "Robin des Bois".

Robin Hood change de public : à la deuxième moitié du 16ème siècle, à l'époque élisabéthaine, le personnage populaire de Robin ne manque pas d'être repris dans des pièces de théâtre. C'est un public de classes aisées qui est concerné. Plusieurs dramaturges ont utilisé cette popularité notamment Anthony Munday qui a écrit deux pièces centrées sur Robin. Le personnage subit une adaptation, il devient aristocrate : Robert, comte de Huntington. Lui aussi victime d'une injustice, il se réfugie dans la forêt où il devient Robin Hood et rencontre Maid Marian. Un changement de statut social pour s'adapter à un nouveau public.
William Shakespeare cite trois fois le nom de Robin Hood dans ses pièces: dans "Les deux gentilshommes de Vérone" en 1590, dans "Henry IV" en 1597 et dans "Comme il vous plaira" en 1599.

** Nouvelles aventures avec d'anciens éléments

Chaque nouvelle adaptation de l'histoire de Robin est imprégnée des questions de société du moment où elle est produite.
Ainsi, depuis la version du film de 1991 avec Kevin Costner et Morgan Freeman, nous avons pris l'habitude de l'adjonction d'un nouveau "joyeux compagnon" sarrazin aux côtés de Robin pour tenir compte des attentes de différents publics.
Le rôle de Marianne s'est étoffé au 20ème siècle et n'est plus seulement réduit à celui de la "girl friend" de Robin.
Le dernier film de 2018 avec Taron Egerton (sans doute pas le meilleur) a fait de Robin un super-héros pour répondre au goût actuel d'un jeune public.
Quelquefois aussi, les films constituent une opportunité d'aborder des points historiques moins souvent traités au cinéma (mais adaptés quand même). C'est ainsi le cas du "Robin Hood" de 2010 avec Russell Crowe et Cate Blanchett dans lequel Robin est associé à la fronde des barons anglais qui finissent par arracher à Jean-Sans-Terre en 1215 la Magna Carta, la Grande Charte.

M
ais au milieu de ces nouvelles histoires et nouveaux concepts nés de l'imagination des scénaristes modernes, apparaissent des éléments moins fréquents qui resurgissent des toutes premières ballades médiévales. Des exemples, entre autres, de ces relectures aux sources peuvent être constatées dans le film "Robin and Marian" de 1977 (La rose et la flèche en version française) avec Audrey Hepburn et Sean Connery.
Outre le fait que Robin y emprunte la carriole d'un potier ambulant, idée tirée de la ballade "Robin and the potter" de 1495, le film se termine sur une singularité dans la filmographie des aventures de Robin mais pas dans la littérature médiévale, sa mort.

Le film de 1977, plus romantique, ne se termine pas par une trahison comme il est raconté dans les ballades. 

Voici la version ancienne :
Robin vieillissant et malade est recueilli pour y être soigné par sa tante au prieuré de Kirklees près de Huddersfield. 

L'ennemi du moment de Robin, infâme comme il se doit, arrive à persuader sa tante de tuer son neveu, ce qu'elle va faire. Little John arrive à son secours, mais trop tard. Il passe son arc à Robin qui, avec ses dernières forces, tire une ultime flèche et demande à être enterré là où celle-ci se plante. Le lieu "authentique" où la flèche a atterri se visite encore de nos jours. Tout comme la tombe de Little John encore visible dans le cimetière de Hathersage dans le Derbyshire).


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