mardi 30 avril 2019

Philippe-Auguste et le pavage des rues

La France, sortie du haut moyen-âge, entre dans la période d'accélération du développement des villes. Les infrastructures de voirie, voies dallées, égouts, qui avaient pu exister un temps, inspirées du monde romain, ne sont plus que souvenirs faute d'entretien. Voies resserrées, terre battue, passages fréquents, animaux nombreux, ordures déversées, eaux stagnantes et bourbiers, la circulation n'est simple ni pour les piétons, ni pour les chariots, ni pour les montures. Puis vînt Philippe-Auguste.

Les premières rues pavées

Anecdote ou légende: le roi, incommodé par les remugles émanant du bourbier, décida le pavage de rues de Paris pour y remédier, et cela suivant deux axes :
- un axe nord-sud allant de la Porte Saint-Denis à la Porte Saint-Jacques passant par la rue Saint-Denis, le pont au Change, la rue de la Barillerie, de la Calande, du marché Palu (réputé marécageux), le Petit Pont, la rue Saint-Jacques
- un axe est-ouest  allant de la Porte Saint-Honoré à l'ouest à la Poterne St-Pol à l'est passant par les rues de la Ferronnerie, St-Jacques de la Boucherie, de la Vannerie, de la Coutellerie, la place Baudoyer et la rue St Antoine jusqu'à l'église St-Pol (aujourd'hui, la Rue Pavée dans le quartier Saint-Paul marque le souvenir de ces travaux).
( plan du "Dit des rues de Paris" écrit vers 1300. L'image supporte l'agrandissement par double-clic )

On note au passage que Philippe-Auguste, soucieux du progrès de la voirie de sa ville, s'était également arrangé pour que ce réseau de voies pavées passât par l'accès principal de son Palais de la Cité, lui permettant des voies dégagées rapides vers les portes des quatre points cardinaux.
Ces travaux sont pris en charge par le roi, s'étendant, non seulement au domaine royal, mais aussi aux autres domaines du Paris intra-muros : ceux de l'évêque, des grands abbés, etc..
La largesse royale ne s'étend pas, cependant, au-delà de ces deux axes, l'équipement du reste de la ville étant laissé à la charge des seigneurs des domaines ou des bourgeois y vivant. Ceux-ci ne devaient pas être trop enthousiastes pour payer les travaux, le nombre de relances royales (Philippe-Auguste et ses successeurs) leur rappelant cette obligation laisse entendre que les travaux n'avançaient qu'avec une précipitation modérée.

Quels pavés ?

D'après certains chercheurs, les premières tentatives semblent avoir été des dalles d'assez grandes dimensions, deux à trois pieds au carré, sur le mode romain.
Mais la solution se révèle difficile à mettre en œuvre, et  c'est celle des pavés, les "carreaux", qui va finir par être adoptée.
Viollet-le-Duc rapporte dans son dictionnaire raisonné de l’architecture française, l'exemple des pavés retrouvés à l'emplacement du Petit Châtelet lors des travaux effectués sur le Petit Pont (intersection de la Rue St-Jacques et du Quai Montebello actuel) : des pavés de 40cm de côté sur 20cm d'épaisseur.
Les pavés utilisés sont soit en grès soit en calcaire.
Le pavage peut être aussi de facture plus rustique lorsque seuls les transports de marchandises sont concernés. A Orléans, les fouilles effectuées en centre-ville montrent des revêtements de rues constitués de blocs de calcaires grossièrement assemblés (photo) dans lesquels les véhicules marquent des ornières.

Les paveurs, statuts et savoir-faire


Nouvelle technique à maîtriser, nouveau métier, celui de paveur commence à exister. Les besoins de définir ce métier semblent suivre le manque d'empressement à réaliser les travaux du pavage de Paris.
Pas de statut de paveur dans le registre des métiers de Nicolas Boileau de 1268. Premières traces en 1397, les ouvriers paveurs y apparaissent rattachés au métier de maçon, il y a même des jurés paveurs.
Les statuts du métier de paveur ne sont officialisés qu'en 1502 (pour mémoire, Philippe-Auguste est mort en 1223), mais cette fois on dispose d'informations.
Les conditions d'entrée dans le métier sont précisées  3 ans d’apprentissage sont nécessaires pour prétendre à la maîtrise, on doit présenter un chef d’œuvre de pavage pour être accepté et, bien sûr, un droit à la maîtrise de 40 sous est à payer. Quatre jurés sont élus pour contrôler la profession.
Les statuts précisent aussi les bonnes pratiques du métier. Les pavés en forme de « carreaux » devaient être bien parés des quatre côtés et être examinés par les jurés lors de leur entrée dans la ville.
Si le terrain ne possédait pas de pente naturelle, on lui en donnait une pour qu'elle fût d'un demi-pouce par toise (1,5cm pour 1,95m). On étendait uniformément 3 pouces (8,5cm) de sable, pur, sec, non terreux , passé à la claie (au tamis). Sur cette forme de sable, on plaçait les pavés, des blocs de 7 à 8 pouces (19,5cm à 22,5cm) pour les roches dures, de 4 à 5 pouces (11 à 14cm) pour les roches plus tendres. La rue devait être à chaussée fendue, c'est-à-dire qu'une rigole en occupait l'axe. Les revers de ce ruisseau fabriqué devaient avoir au plus 4 pouces de pente par toise (11cm pour 1,95m), etc......

Pour en savoir plus :
- Persée : La voirie de Paris autrefois - d'Andrée Bas
- Gallica : La carte "Le Paris de Guillot" - période Philippe le Bel
- Gallica : Le livre "Le Dit des rues de Paris" - livre d'Edgar Mareuse
- Viollet-le-Duc : Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle
- Les rues d'Orléans, de la période gauloise à nos jours
- Gallica : Les métiers et corporations de Paris : du 16ème au 18ème - de René de Lespinasse