mercredi 25 août 2021

Les chevauchées du Prince Noir

A
ux origines de la guerre de Cent Ans, il y a l'argument de l'éviction du roi anglais Édouard III du trône de France au profit de Philippe VI de Valois. Mais il y a aussi les intérêts économiques et stratégiques du duché de Guyenne, héritage d'Aliénor d'Aquitaine. Pour tenir ce territoire, il faut à Édouard III un lieutenant de confiance, un autre lui-même. Ce sera Édouard de Woodstock, son fils aîné qui reste connu pour l'Histoire sous le surnom du Prince Noir.

*** 1 - L'héritier

L
es débuts du règne d' Édouard III sont difficiles. Il n'a que 14 ans en 1327 lorsqu'il succède à son père Édouard II après que celui-ci ait été contraint à la démission, emprisonné et quelques mois plus tard assassiné dans son cachot. {illustration : couronnement d'Edouard III} La même année, le jeune roi épouse Philippa de Hainaut, fille de Guillaume II, comte du Hainaut, par un mariage savamment mûri par sa mère, Isabelle de France, pour renforcer les liens entre l'Angleterre et les riches Flandres.
Le couple va être prolifique (13 enfants) et le premier-né sera un garçon, prénommé sans grande originalité Édouard, qui naît trois ans plus tard, le 15 juin 1330, à Woodstock près d'Oxford. 

La position d'aîné du jeune Édouard fait de lui l'héritier présomptif du trône d'Angleterre. Le roi alloue à la reine l'apanage du comté de Chester pour le financement de son éducation. Trois ans plus tard, le titre est transféré à celui-ci, Édouard de Woodstock devenant ainsi Comte de Chester. 

Deux précepteurs vont se charger de l'éducation du prince. Le premier est Walter Burleight, un philosophe scolastique qui se charge de sa culture et de sa formation intellectuelle. Il veille notamment à lui apprendre la langue anglaise de ses futurs sujets (toute la Cour parle français depuis Guillaume le Conquérant - se souvenir que  "honni soit qui mal y pense"est la devise créée par Édouard III). Le second précepteur est Walter Mauny, un chevalier du Hainaut. Ce dernier a en charge d'en faire un seigneur féodal accompli, un modèle de chevalerie : maniement des armes, fauconnerie, tournois, sens de l'honneur, mais aussi l'habitude du commandement, de la vie avec des soldats et des mercenaires, des fêtes, du luxe et de la dépense (à la charge des personnes à protéger).
Rapidement, le roi fait reposer symboliquement sur les épaules de son fils les marques de l'importance de sa naissance. A 7 ans, le jeune Édouard reçoit le titre de duc de Cornouailles et à 13 ans celui de Prince de Galles. A plusieurs reprises, lorsque le roi doit quitter le sol anglais, il nomme son fils gardien du royaume. C'est le cas en 1338 (il n'a que 8 ans) puis encore en 1340 et 1342. Honneur insigne même si la marque n'est qu'honorifique, un conseil assurant la charge en l'absence royale..

*** 2 - La chevauchée d'Édouard III et la bataille de Crécy

Dans le royaume de France, les enfants mâles de Philippe le Bel vont se succéder sur le trône mais brièvement et sans descendance. A la mort de Charles IV en 1328, le dernier d'entre eux, seule reste vivante leur sœur Isabelle mariée au roi anglais Édouard II et mère d'Édouard III. Ce dernier pourrait être le successeur mais grâce à l'invocation opportune de la loi salique, c'est finalement Philippe VI de Valois, un neveu, qui accède au trône.

Contre toute attente, l'aspect juridique ne soulève que peu de difficultés entre les deux pays. Le parlement anglais entérine la justification de l'écartement d'Édouard du trône de France et la même année, comme duc de Guyenne, il rend hommage de vassalité à Philippe VI.{illustration : manuscrit Gruuthuse des chroniques de Froissart - Edouard rendant hommage à Philippe VI}

Mais si la question juridique semble résolue, les intérêts géopolitiques subsistent de part et d'autre.
Édouard III continue à intriguer avec les Flandres pour son intérêt économique en contrant les initiatives de la France. Il souhaiterait bien intervenir de façon armée sur le continent, mais les questions de succession chez son vassal écossais mobilisent ses troupes. De son côté, Philippe VI, conscient des difficultés anglaises, entretient la vieille alliance franco-écossaise, l'Auld Alliance, apportant même un support militaire. Et pour la Guyenne, il interdit les exportations de laines anglaises vers les Flandres. 

Il ne manque plus qu'un prétexte pour allumer le conflit, ce va être le refus d'Édouard III de livrer Robert d'Artois au roi de France. En rétorsion, ce dernier confisque en 1337 le duché de Guyenne à son vassal. Cette fois, l'Angleterre ne peut plus éviter de réagir. {illustration : du duché de Guyenne et royaume de France en 1340}

En l'abbaye de Westminster, Édouard III défie le roi de France, lui contestant la couronne de France et en 1340 décide de prendre le titre de roi d'Angleterre et de France.
{illustration : vitrail - en héraldique, pour bien montrer la double couronne, désormais Edouard III et ses enfants vont accoler les lys de France aux trois léopards des Plantagenêts }

Il engage les hostilités, peu couronnées de succès jusqu'à une première victoire maritime devant Bruges (bataille de l'Écluse). Pour l'étape suivante, il prévoit une campagne sur le sol français. Il réunit 1 200 navires et 40 000 hommes (les chiffres sont ceux des chroniqueurs contemporains, à considérer avec modération) et cingle vers le Cotentin. La flotte débarque le 12 juillet 1346 à St-Vaast-la-Hougue.  

Et l'on va enfin pouvoir commencer à parler du destin d'Édouard de Woodstock, à présent âgé de 16 ans, car il accompagne son père dans cette expédition.Le roi arme son fils chevalier en arrivant sur le sol français.
L'objectif de l'intervention anglaise n'est pas directement une conquête de territoire. Ce doit être une chevauchée, un raid de pillage et de destruction. Les buts d'une telle opération sont multiples : en tout premier lieu, collecter le plus de butin possible, ensuite désorganiser et porter un coup important  à l'économie des régions traversées et enfin montrer sa puissance et son impunité. Dans une chevauchée, on ne fait que peu de sièges (trop long) et on contourne les places trop fortes (trop de risques et au détriment de la mobilité). Pour être le plus efficace et moins prêter le flanc aux attaques, une chevauchée est généralement composée de trois lignes armées avançant de concert.

Le jeune prince est à la tête de l'une d'entre elles. Il s'y montre à l'aise et d'une parfaite efficacité dans les exactions, peut-être ce qui justifiera son surnom ultérieur de Prince Noir. L'armée ravage ainsi une partie de la Normandie, remonte par le Vexin, rejoint la Seine à Elbeuf et remonte ensuite le fleuve passant à Vernon le 9 août. Du 13 au 16 août, Édouard III est à Poissy et son fils à St-Germain-en-Laye. En repartant, ils incendient l'abbaye de Joyenval et le château de St-Germain. {illustration : le débarquement des troupes anglaises + la traversée de la Seine et la mise à sac de Vitry }
Si l'armée anglaise ne reste pas pour occuper les territoires, certains de ces derniers passent aux mains de nouveaux alliés qui apparaissent, par conviction ou opportunité. Ainsi, l'ouest de l'Ile-de-France ne sera dégagé de la tutelle anglaise qu'en 1449 avec la  libération de Mantes-la-Jolie.  Édouard III continue sa progression vers le nord, traverse le Beauvaisis et le Ponthieu et c'est là qu'il va être rattrapé par l'ost de l'armée royale française le 26 août 1346 non loin de Crécy.

Cette fois, il ne s'agit plus d'un raid de maraude, mais d'une bataille rangée, et qui plus est, entre deux armées royales avec, face à face, Édouard III et Philippe VI. Le roi anglais a eu le temps de choisir son terrain et le préparer. Le jeune prince commande l'aile droite, en première ligne. Depuis bien longtemps, l'armée anglaise a évolué dans ses tactiques de combat. Moins de cavalerie, davantage d'infanterie, elle possède un fort contingent d'archers vulnérables et donc protégé par des rangées de pieux plantés dans le sol où la cavalerie adverse vient s'empaler. L'armée française n'a pas eu cette évolution. Elle est basée sur la force de la cavalerie composée de seigneurs-chevaliers  indisciplinés et avides d'exploits individuels. Malgré un rapport de force 3 à 4 fois supérieur, l'armée française va à sa perte. Après une confusion due à l'indiscipline générale, c'est un désastre meurtrier. Philippe VI, blessé dans la bataille, doit quitter le combat pour éviter d'être capturé. {illustration : la bataille de Crécy }

Une chronique raconte que le jeune Édouard échappa de peu à la mort après avoir été désarçonné par un chevalier français et que, par vengeance à la nuit venue, il fit exécuter tous les Français prisonniers ne pouvant s'acquitter de rançon suffisante. Un manque d'esprit chevaleresque qui lui fit, a posteriori, grande honte et pour lequel il fit amende honorable devant son père.
Des chiffres de 30 000 morts ont été avancés par des chroniqueurs pour les pertes françaises. Les historiens actuels penchent davantage pour environ 4 000 morts. Les pertes anglaises sont, d'après toutes les sources, très faibles : 100 à 300 morts. {illustration : le décompte des pertes après la bataille de Crécy }

Après Crécy, le prototype des combats de la guerre de Cent Ans sera: peu de batailles rangées mais de longues suites de campagnes de pillages et de destruction et une emprise territoriale variant au gré des prises de places-fortes.

Après Crécy, l'armée anglaise n'a plus d'obstacle pour poursuivre sa chevauchée. Elle remonte vers Calais, met le siège devant la ville. Mais celle-ci va résister pendant 11 mois. Ici se situe l'épisode des bourgeois de Calais venus implorer la pitié du roi et l'intervention de Philippa son épouse demandant et obtenant une forme de clémence. {illustration : la reddition de Calais }  

Après reddition de la ville, le jeune prince se charge de harceler, piller et brûler le pays dans un rayon de 50 km à la ronde. Une fois cela accompli, l'armée, chargée d'un butin considérable, peut ré-embarquer pour de l'Angleterre.
A la suite de cette campagne, en 1348, Édouard III décore son fils du tout nouvel Ordre de la Jarretière qu'il vient de créer la même année.

*** 3 - La chevauchée gasconne de 1355

Philippe VI après cet échec ne désarme pas et accentue la pression économique sur les seigneuries gasconnes alliées à l'Angleterre. Elles s'en plaignent à Édouard III qui finit par décider d'intervenir une nouvelle fois sur le sol français.
Lors de la chevauchée de 1346, il a eu l'occasion de vérifier les talents d'homme de guerre de son fils. Talents confirmés par la façon vigoureuse avec laquelle il mate les troubles qui surviennent dans son Comté de Chester. Pas de doutes, le jeune Édouard est à présent un seigneur féodal et un guerrier accompli pouvant assumer des missions requérant davantage d'autonomie.
Édouard III, plutôt que d'intervenir lui-même en France, décide donc d'envoyer son fils pour une expédition de représailles à partir de son fief français de Guyenne. En septembre 1355, le jeune prince débarque à Bordeaux à la tête d'une armée limitée, moins conséquente que celle de 1346 :      1 500 lances, 2 000 archers et 3 000 piétons.

Fort de son expérience précédente, le jeune Édouard entreprend une chevauchée avec un but unique, celui de piller et d'amasser le plus de butin possible dans les régions riches hors de son duché.
Ce projet n'est pas pour déplaire à nombre de seigneurs gascons qui viennent se joindre à la troupe anglaise attirés par le gain.
La chevauchée traverse les comtés de Juillac, d'Armagnac, d'Astarac et une partie du Comminges (Gers, Haute-Garonne et Ariège), s'enfonçant plus vers le Sud-Est. Les chroniques font état des désormais traditionnels pillages, dévastations, bourgades incendiées et massacres avec quelques fois des surenchères comme celle du massacre de femmes et d'enfants à Montgiscard. On note les prises et pillages d'Avignonnet, de Castelnaudary le 31 octobre, de Carcassonne (la ville au pied des remparts, la citadelle reste indemne) et de Narbonne.  {illustration : carte de la chevauchée de 1355 }
Ayant amassé une énorme quantité de butin, la troupe est finalement de retour à Bordeaux où la cour s'installe pour Noël.
Le butin va servir à alimenter une cour luxueuse et habituée des fêtes. Le prince, lors de ses razzias, a collecté aussi bon nombre d'objets de luxe, draperies, tapis et tapisseries, délaissés par ses alliés gascons davantage intéressés par l'argent.
La cour passe ainsi tout l'hiver et le printemps, menant joyeuse et fastueuse vie. Seuls quelques capitaines et seigneurs alliés, un peu plus avides, ne peuvent attendre le retour de la belle saison et commettent des raids au début de l'année 1357 dans lesquels 5 villes sont dévastées et 17 châteaux pris.

*** 4 - La chevauchée de 1356 et la bataille de Poitiers

Les exploits de 1355 ont donné au prince une solide réputation s'étendant bien au-delà de la région dévastée : celle d'un chef de guerre, stratège remarquable, et habitué aux pillages et dévastations de tous ordres. De quoi faire réfléchir toutes les populations du Sud-Ouest. Au fil des mois, la troupe du prince s'est enrichie de meutes de mercenaires anglais, gallois ou gascons, attirés par les pillages et peu incommodés par l'odeur du sang.
La vie en Aquitaine, décidément, satisfait pleinement le jeune prince et sert les objectifs de son père. Seule ombre au tableau, le butin rapporté s'épuise rapidement avec le train de vie de la cour de Bordeaux.

A l'été 1356, le prince doit se réarmer pour une nouvelle chevauchée. Direction cette fois, vers le nord de l'Aquitaine pour piller de riches régions épargnées l'an passé avec un prétexte, celui de venir en aide aux alliés normands en butte aux attaques françaises. Mais clairement, la chevauchée a une fois de plus une vocation de pillage.
Début août, l'armée franchit  la Dordogne à Bergerac, traverse et met à feu et à sang l'Auvergne, le Limousin  et le Berry. Échoue à prendre la ville de Bourges mais brûle sa ville hors des murs. Issoudun connaît le même sort à la fin du mois. Vierzon est prise, mais comme l'un des proches d'Édouard est tué dans le combat, toute la garnison de la ville est passée au fil de l'épée. Romorantin tombe début septembre après un court siège. {illustration : carte de la chevauchée de 1356 }

Les nouvelles sur la chevauchée finissent par remonter jusqu'au roi de France, Jean II, qui a succédé à Philippe VI. L'ost est reconstitué et part à la rencontre de la troupe anglaise qui, avertie, cherche à se replier sur Bordeaux.
Les deux armées vont se rejoindre près de Poitiers le 19 septembre. Les techniques de combat anglaises n'ont que peu changé depuis la bataille de Crécy. Hélas, il en est de même côté français. C'est un nouveau désastre pour la France et bien plus humiliant que celui de Crécy. L'armée royale française est vaincue cette fois, non par une autre armée royale, mais par le corps expéditionnaire d'un seigneur régional. La noblesse française est décimée une fois de plus, mais cette fois le roi Jean II, lui-même, qui par esprit chevaleresque et héroïque s'est battu jusqu'au bout, est fait prisonnier avec son plus jeune fils. {illustration : la reddition de Jean II devant Edouard }
L'armée anglaise après ce succès inattendu revient sur Bordeaux, transportant avec elle un immense butin mais ayant en plus, pour l'avenir, la promesse de la rançon de nombreux prisonniers parmi lesquels, rien de moins que celle d'un roi.
A Bordeaux, cette année encore, l'hiver se passe à des fêtes nombreuses auxquelles participe un invité "contraint", Jean II. La fête est belle aussi pour les alliés et mercenaires qui dépensent sans compter ce qui a été ramené de la maraude.
Début 1357, le prince accompagne à Londres son prisonnier pour son triomphe.

*** 5 - Le prix d'un roi et le traité de Brétigny

Le traité de Londres définit les conditions de libération de Jean II. Le montant est pharamineux : 4 millions d'écus d'or, le maintien du droit au trône de France d'Édouard III, auxquels sont rajoutées la Normandie et l'Aquitaine au titre de garantie. Les conditions étant rejetées par la France, Édouard III décide de brusquer les choses par une chevauchée qui doit l'amener à Reims pour son sacre.

Celle-ci va être, militairement, un échec total. Le dauphin Charles au pouvoir en France en l'absence de Jean II a organisé une terre déserte sur le parcours de la chevauchée. Peu de butin, un ravitaillement famélique pour les hommes et des chevaux sans fourrage. Pour finir, à l'approche de Reims, un violent orage de grêle achève la troupe laissant entendre que même Dieu s'oppose à la tentative. 

Sans la gloire attendue, Édouard III préfère finalement signer une paix provisoire redéfinissant de nouvelles contreparties consignées dans le traité de Brétigny :

  • paiement d'une rançon de 3 millions d'écus (somme qui ne sera pas versée en totalité permettant à Jean II de retrouver enfin sa liberté et son trône après 4 ans
  • l'Angleterre gagne "en toute souveraineté" l'Aquitaine incluant le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois, le Limousin, le Périgord, le Quercy,  le Rouergue, le Béarn, l'Agenais et la Bigorre. Autre territoire gagné, le Ponthieu au sud de Calais, constituant pour l'Angleterre une porte d'entrée sur le continent et vers les Flandres.
  • dernier point, et pas des moindres, Édouard III renonce définitivement au trône de France.

Le traité de Brétigny ne sera pas éternel, mais il fixe les conditions d'une trêve qui va être à peu près respectée pendant 9 ans.  {illustration : du duché d'Aquitaine et royaume de France après le traité de Brétigny} .

*** 6 - Le prince d'Aquitaine
L'Angleterre gagne donc de nouveaux territoires, formant un duché d'une surface dépassant le quart de celle du royaume de France. Pour autant, l'administration de l'Angleterre et les opérations en Écosse et en Flandres continuent à suffisamment occuper le roi et solliciter le trésor royal.
Pour diriger ce nouveau grand duché, il souhaite lui donner une forme de vassalité et d'indépendance économique. 

En premier lieu, il s'agit de s'assurer que tous les nouveaux territoires rendent bien hommage à leur nouveau suzerain anglais. Édouard III confie cette tâche à l'un de ses fidèles, un des plus grands capitaines de son époque, John Chandos. Au titre des campagnes précédentes, Chandos était le chef de guerre du roi lors de la bataille de Crécy et le stratège qui conduisit l'armée du prince à la victoire lors de celle de Poitiers.
En 1362, Édouard III fait de l'Aquitaine une principauté vassale et met à sa tête comme Prince d'Aquitaine un homme de toute confiance qui a prouvé sa valeur à maintes reprises, son fils, Édouard de Woodstock.
Le pouvoir accordé au prince est considérable : il dispose de la souveraineté territoriale, de la collecte des revenus, les trois justices, le droit de battre monnaie, d'anoblir, d'accorder des privilèges. Un pouvoir quasi royal. {illustration : Edouard III confiant le duché d'Aquitaine à son fils}

Édouard qui vient d'épouser sa cousine, la comtesse Joan of Kent, quitte l'Angleterre et débarque à La Rochelle en février 1363 pour prendre possession de son duché. Il y est accueilli par John Chandos qu'il nomme connétable de Guyenne et se dirige vers Bordeaux, recevant en chemin les hommages des seigneurs de Poitou, de Saintonge et de Gascogne.
La cour va résider alternativement à Bordeaux et Angoulême. Comme celle du duché de Guyenne, la cour du duché d'Aquitaine est fastueuse, enchaînant les fêtes et les dépenses somptuaires. {illustration : portrait du prince d'Aquitaine - réinterprété au 18ème siècle}

Mais rapidement ce pouvoir et le gouvernement du prince vont faire apparaître des failles. Édouard favorise ses compatriotes anglais dans l'attribution des charges, ce qui ne manque pas de mécontenter bien des seigneurs locaux qui s'étaient révélés alliés fidèles par le passé.
Plus importante est la question économique. Le fonctionnement de la cour est un gouffre financier qui se traduit, sans surprise, par l'émission de lourdes taxes qui viennent frapper aussi bien le petit peuple que la noblesse.
Une autre source d'animosité, extérieure cette fois au duché, est celle des compagnies libres de routiers sillonnant la France en quête de pillages et de butin. Beaucoup sont menées par des capitaines Anglais ou Gascons. Bien évidemment, elles épargnent l'Aquitaine laissant suspecter, sans doute avec de bonnes raisons, que l'absence de réaction du prince à leur endroit est intéressée.
Le roi d'Angleterre qui cherche à ne pas mettre en péril, pour le moment, la trêve avec le royaume de France se sent obligé d'intervenir auprès d'Édouard pour lui demander de contenir leurs dévastations.

Toute la grogne qui commence à monter n'est pas passée inaperçue de Charles V, nouveau roi de France depuis 1364. Il noue des contacts avec les seigneurs mécontents et en tout premier lieu avec ceux qui refusent de rendre hommage au prince, notamment Gaston de Foix.

Sans doute à cause de difficultés économiques, peut-être par manque d'activité guerrière mais aussi lassé du travail de sape du roi de France, le prince se trouve une occasion de remettre son armure en vue d'une campagne rémunératrice. Il se tourne cette fois vers l'Espagne pour venir en aide à Pierre le Cruel, roi de Castille évincé du trône (intervention moyennant promesse de finance, cependant).

Cette campagne n'est pas dépourvue de succès, notamment celle de la bataille de Najerà en 1367 où il vainc une armée française venue en renfort, faisant prisonnier Du Guesclin. {illustration : le passage de la troupe du Prince Noir franchissant le col de Roncevaux - illustration du livre 'Le Castillan ou le Prince Noir en Espagne' de De Trueba y Cosio - 1829 }
Toutefois, le bilan est lourd pour l'avenir. Le prince revient d'Espagne avec  de sérieux problèmes de santé qui ne le quitteront plus (dysenterie). Mais aussi, il se trouve désormais face à de très grosses difficultés financières que la rançon de Du Guesclin est bien loin de couvrir. Pierre le Cruel, a posteriori, se refuse à payer les frais de la campagne de la troupe du prince. Encore plus grave, les compagnies libres enrôlées pour la circonstance entendent, elles aussi, se faire payer par Édouard. Ces compagnies remontent d'Espagne et commencent à saccager l'Aquitaine jusqu'à ce que le prince arrive à un arrangement, leur assurant libre passage vers le nord pour qu'elles aillent exercer leurs raids en royaume de France. Ce qu'elles firent.

*** 7 - La guerre d'Aquitaine

Les finances du duché sont dans une situation catastrophique. Édouard décide en 1368, en urgence, de lever une taxe par foyer, un fouage. Même avant cela, de nombreuses villes et châteaux se sont ralliées à la cause française. Cette nouvelle taxe déclenche une vague de rejets venant cette fois de grands vassaux en appelant au roi de France. C'est le cas de la défection des comtes d'Armagnac, de Périgord et de Comminges reconnaissant Charles V comme leur suzerain suprême.
Charles V use du prétexte de ces appels pour convoquer à Paris le duc d'Aquitaine, son suzerain, pour y recevoir jugement. Le puissant prince ne l'entend pas ainsi et fait répondre au roi  «  Nous nous rendrons volontiers à Paris au jour fixé puisque le roi de France nous fait venir, mais ce sera le heaume sur la tête et 60 000 hommes à mes côtés ». La trêve de neuf ans a vécu et le traité de Brétigny est rompu. 

Dans cette nouvelle reprise de la guerre, Charles V est bien décidé à reprendre aux Anglais tous les territoires qui avaient été concédés à Brétigny. Mais dans le duché d'Aquitaine, l'époque des chevauchées est révolue. Le prince n'est plus en première ligne. Désormais malade, il est incapable de tenir à cheval et de mener une armée au combat. Il délègue John Chandos pour conduire les opérations et réclame des renforts à son père. Mais l'aide reçue n'est pas à la hauteur de ses espoirs. Un fort lobby à la cour d'Angleterre fait pression sur le roi pour estimer moins prioritaires les actions sur le continent.
John Chandos fait de son mieux mais, succès après succès, la France reprend des territoires. Le 1er janvier 1370 à Mortemart en Poitou lors d'un accrochage, l'armée anglaise subit de lourdes pertes parmi lesquelles John Chandos qui trouve la mort, privant le duché de son grand capitaine. Le seigneur gascon Johan de Greilly captal de Buch, le remplace, devenant connétable d'Aquitaine (Buch = région d'Arcachon) {illustration : manuscrit Gruuthuse des chroniques de Froissart - La mort de John Chandos }
Charles V en profite pour accentuer son avantage. Il lève deux armées pour des opérations de plus grande envergure. La première, commandée par Louis, duc d'Anjou, pénètre en Guyenne (l'ouest du duché). La seconde est commandée par Jean, duc de Berry, sa colonne progresse à l'intérieur du duché vers le Limousin et le Quercy.

Le sac de Limoges 1370


De nombreuses villes se rallient à la France. En août 1370, Jean de Berry, sans avoir rencontré de réelle résistance, arrive devant Limoges et entame les négociations pour une reddition. La ville comporte alors deux enceintes correspondant aux deux pouvoirs : le Château (lo Chatéu) incluant l'abbaye St-Martial  est aux mains du Vicomte, et la Cité (la Citat) avec la cathédrale dirigée par l'évêque et la petite abbaye de moniales de la Règle.
Jean de Berry ne met le siège que devant la Cité représentant un intérêt symbolique plus important. En effet, l'évêque Jean de Cros est un proche du Prince Noir.
Autre intérêt, peut-être plus stratégique, l'enceinte de la Cité contrôle le pont St Étienne, l'un des deux seuls ponts permettant la traversée de la Vienne.


Dans la Cité, la position de Jean de Cros est difficile. S'il est fidèle au duc d'Aquitaine, ce n'est pas le cas de sa population qui s'est déjà rebellée demandant la protection du roi de France.
Pour les négociations de la reddition, les revendications sont préparées et présentées par les échevins : conservation des privilèges, exemption d'impôts pendant dix ans, obtention de franchises notamment pour la création de deux foires annuelles et d'un marché hebdomadaire.
Jean de Berry accepte tout et la ville se rend. C'est l'entrée triomphale des troupes françaises, mais qui ne restent que trois jours pour repartir vers de nouvelles opérations. Elles laissent toutefois sur place une troupe pour la garde de la ville.

La reddition de Limoges sans combattre met le prince hors de lui. Il se jure de punir la trahison de l'évêque, et qui plus est, faire un exemple pour les villes qui cèdent les unes après les autres devant les armées françaises.
Fort d'une troupe de 4000 hommes, de la présence de ses deux frères, les ducs de Lancastre et de Cambridge et de son  beau-frère le comte de Pembrocke, il quitte Cognac et vient mettre le siège quelques jours plus tard devant Limoges, suivant la troupe en litière. Jean de Cros a bien vu le danger et a envoyé une demande d'aide au duc de Berry. Mais celui-ci est déjà bien plus au sud et ne dispose plus du temps, ou de la volonté, nécessaire pour intervenir. Le sort de Limoges est scellé. Le 19 septembre 1340, la pose de mines par les Anglais provoque l'écroulement d'un large pan du rempart de la Cité. L'armée anglaise s'y précipite, la ville est prise d'assaut. {illustration : manuscrit Gruuthuse - La chute du rempart et de la ville de Limoges }

La garnison succombe la première précédant l'exécution des habitants, dit le chroniqueur,  incluant femmes et enfants. Les historiens modernes sont, une fois de plus, mesurés sur l'ampleur du massacre, même si le prince était coutumier du fait. La chronique de l'abbaye St Martial, contemporaine et locale, évalue celui-ci à 300 morts incluant l'exécution des soldats français laissés par Jean de Berry.
Pour le reste, la fureur du prince passe sur la Cité (le Château, l'autre enceinte de Limoges reste fidèle au Prince jusqu'en 1372). Elle est pillée, brûlée et les remparts abattus. On raconte localement qu'une partie du pillage échappa à la soldatesque car la Cité comportait un réseau de souterrains qui servaient habituellement d'entrepôts. {illustration : les souterrains de l'abbaye de la Règle }
Jean de Cros fut déféré devant Édouard. Malgré la colère de celui-ci, ses conseillers sauvèrent la tête de l'évêque mais pas sa liberté, au moins dans un premier temps.

Limoges fut le dernier combat du Prince Noir sur le terrain. Une victoire dans les faits, mais ne rapportant à son vainqueur qu'une triste réputation de manque d'esprit chevaleresque par le  massacre d'habitants non armés.

*** 8 - Retour au pays

Les armées de Charles V continuent leur progression avec succès. Entre 1369 et 1370, les territoires d'Aquitaine tombent les uns après les autres. La reconquête n'est pas aisée pour autant. De nombreuses zones restèrent fidèles jusqu'au bout, telles que des grandes villes comme Millau et Montauban et même des régions comme le Poitou, la Saintonge et l'Angoumois.
Le prince se réfugie dans un premier temps à Bordeaux. Son état de santé s'aggrave et il est durement touché par la mort de son premier fils Édouard en 1371.

Dans les combats contre la France, le duché continue à perdre ses grands capitaines. Le captal de Buch est capturé. Il mourra en 1376 dans les geôles françaises.
Édouard finit par démissionner de la principauté d'Aquitaine laissant la place à son frère Jean de Gand. Il retourne s'installer en Angleterre avec son épouse et son jeune fils Richard qui succédera en 1377 à Édouard III sous le nom de Richard II (dit "de Bordeaux").
La maladie finit par avoir raison de lui le 8 juin 1376. Il ne succédera pas à son père qui mourra un an après lui. {illustration : le gisant du Prince Noir dans la cathédrale de Canterbury }
Le prince est l'une des dernières grandes figures de la chevalerie anglaise. Il est enterré en la cathédrale de Canterbury. Sur son épitaphe (ayant peut-être inspiré Ronsard et Corneille) est écrit :
    Such as thou art, sometime was I.  Such as I am, such shalt thou be.

   
I thought little on th'our of Death  So long as I enjoyed breath.

   
On earth I had great riches : land, houses, great treasure, horses, money and gold.

   
But now a wretched captive am I,  deep in the ground, lo here I lie.

   
My beauty great, is all quite gone, my flesh is wasted to the bone
.

*** 9 - L’appellation de Prince Noir

Il n'existe aucune trace permettant de dire que ce surnom ait été employé du vivant d'Édouard de Woodstock. La première mention connue figure sous la plume du poète et historien John Leland dans les années 1530, 1540 soit environ 165 ans après sa mort. Comme il fait référence à des écrits antérieurs (non retrouvés), il semble qu'à cette époque le surnom pouvait être déjà répandu. 

Il existe de nombreuses thèses expliquant ce surnom et toutes relèvent de deux thèmes principaux :
1 - la couleur noire de son armure ou de son bouclier
2 - la noirceur de son comportement brutal

Il est certain que l'un des boucliers qui fut utilisé par Édouard (dit "bouclier pour la paix" {illustration}) arborait un fond noir, cela fut-il suffisant pour frapper les imaginations ? Quant à l'armure noire, aucun document contemporain probant n'en faisant une mention claire n'a encore été trouvé à ce jour. 

Pour ce qui est de la "noirceur" du chevalier, là encore pas de certitude au moment des faits.
Pierre de Mézières, un contemporain français mais ayant passé sa carrière en Méditerranée bien loin du Prince Noir, en parle comme le plus grand des «sangliers noirs».   
William Shakespeare, encore une cinquantaine d'années après John Lelland cite ce surnom dans ses pièces Richard II (vers 1595) et Henri V (vers 1599). Dans cette dernière, il prête au roi de France l'évocation de "Édouard, le noir Prince de Galles".
Plus tard encore, en 1611, John Speed, un compatriote anglais, avance l'explication que la dénomination est due: « non à sa couleur, mais à ses redoutables actions guerrières. »  
Peu importe, pour l'Histoire, Édouard de Woodstock reste le Prince Noir.

{illustration : the Black Prince at Crécy - peinture de Julian Russell Story , deuxième moitié du 19ème siècle}


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