mercredi 24 avril 2019

Les flèches de Notre-Dame de Paris

L'incendie d'avril 2019 dévasta la charpente de la cathédrale et détruisit sa flèche. Après la décision de sa reconstruction et l'obtention du financement, nous sommes entrés dans un de ces débats "anciens" contre "modernes" dont nous raffolons : reconstruire, oui mais en quel style ?
En attendant, revenons un peu sur l'histoire de la charpente et les flèches qui s'y succédèrent en essayant de trouver quelques informations moins largement diffusées.


Les bois de charpente

La construction de la cathédrale voulue par Maurice de Sully débute en 1163.
Commencée en style "gothique primitif", ses techniques de construction vont évoluer jusqu'à son achèvement vers 1250 en plein "gothique classique".
Le chœur, première étape, est couronné d'une charpente montée en gros bois : des chevrons de belle taille, chacun faisant appel à un seul vénérable chêne. Les datations modernes leur donnent entre 300 et 400 ans au moment de l'abattage, ce qui en fait les contemporains de Charlemagne.
Pour le reste de la charpente, terminée vers 1220, les arbres de cette taille sont beaucoup plus difficiles à trouver avec l'augmentation des surfaces cultivables. Aussi, on est passé à des fermes plus compliquées, mais ne nécessitant plus que des chevrons de plus petite taille : une quinzaine de mètres de long pris sur des arbres d'un peu plus d'une vingtaine de centimètres de diamètre.
Les uns comme les autres sont partis en fumée.

Qu'y avait-il avant la flèche de Viollet-le-Duc ?

Pour ce qui est de la forme qui précéda la flèche récemment disparue, la réponse est simple : il n'y avait rien.
Le style gothique n'étant plus à la mode et la flèche du 13ème siècle menaçant de s'écrouler, Louis XVI décida son démantèlement  à partir de 1786. Travaux inachevés à sa mort, la période révolutionnaire fit le reste pour finir de décapiter (c'était une habitude) les édifices religieux, la flèche de la Sainte Chapelle subissant le même sort.
Pour illustrer cet état d'avant la rénovation du 19ème siècle, voici un daguerréotype daté de 1840.
Séquence ludique = prenez une photo récente de la cathédrale et cherchez les 7 différences. Un indice pour aider ceux qui auraient des difficultés : une différence se cache entre les deux tours.
On peut aussi trouver des gravures de cette époque, mais pour ceux qui préfèrent les images en couleurs, on peut admirer quelques tableaux notamment ceux de Johan Barthold Jongkind, peintre néerlandais, que Notre-Dame inspira et qui peignit quelques toiles sur ce thème dans les années 1850.

La flèche du 13ème siècle

Pas de schémas ou plans du maître d’œuvre pour dire à quoi elle ressemblait. Il faut attendre quelques siècles pour disposer d'une image raisonnablement fiable avec la carte de Paris, dite "de St-Victor" de 1550. Elle est reprise en gravure en 1756, mais qu'importe, 1550 ou 1756 le modèle originel est encore sous les yeux.
D'après cette représentation, la flèche du 13ème et celle de Viollet-le-Duc paraissent de proportions similaires avec une croix ou un coq placé dans le ciel de Paris à environ 90 mètres au-dessus du sol. Après les cathédrales gothiques des débuts, la démesure s'empare des maîtres d'ouvrage et maîtres d’œuvre pour culminer à 160 mètres avec la cathédrale de Beauvais (au moins à la période médiévale, après on fit mieux). Construite en 6 ans, disproportionnée, elle ne tînt que 4 ans avant de s'écrouler sur une partie de l'édifice.
Contrairement à d'autres cathédrales comme celles de Laon, Rouen ou Evreux, la flèche originelle n'était pas une tour-lanterne destinée à laisser la lumière tomber de la voûte sur la croisée du transept. Elle semble avoir eu, plutôt, la vocation d'une tour-clocher. Elle porta jusqu'à 5 cloches avant son démantèlement du 18ème siècle. Celle de Viollet-le-Duc n'était pas prévue pour cela, elle n'en porta jamais.

Rénovation : création ou inspiration ?


Viollet-le-Duc reçoit de Louis Philippe la commande de la rénovation de la cathédrale en 1844. C'est loin d'être le seul projet qu'il doit mener de front, rien moins qu' Amiens, Saint-Denis, Pierrefonds, Carcassonne, Vézelay, Poissy, la Sainte-Chapelle, etc..
Beaucoup de projets, beaucoup de concurrents déçus et beaucoup de gens émirent des avis sur l’œuvre réalisée. La citation de Jules Claretie résume assez bien le débat : "Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire, et surtout la grande armée des gens d'autant plus sévères qu'ils ne font rien du tout".
Il serait vain de citer toutes les critiques.Pour sa flèche, on lui reprocha d'avoir mis une flèche "gothique flamboyant" sur une cathédrale "gothique classique" (ça vous a toujours choqué aussi, non ?)
On lui reproche aussi d'avoir copié la flèche imaginée par l'architecte Emile Boeswillwald pour remplacer en 1858 celle de la cathédrale d'Orléans. Architecte auquel, peut-être les mêmes, reprochent de s'être, lui aussi, trop inspiré de la flèche de la cathédrale d'Amiens.
Autant de querelles qui n'ont plus court.

Pour aller plus loin :
Sur la charpente :
- La charpente de Notre-Dame de Paris
- La charpente de la cathédrale de Bourges - Revue archéologique du centre de la France
Sur la flèche de Viollet-le-Duc :
- La flèche de Notre-Dame de Paris
- Johan Barthold Jongkind - le peintre néerlandais du 19ème siècle
- Jongkind : Notre-Dame vue du quai de la Tournelle
Sur la flèche du 13ème siècle :
- la carte de Saint Victor de 1550
Sur l'architecture et les flèches des autres cathédrales
- dictionnaire raisonné de l'architecture du 11ème au 16ème siècle de Viollet-le-Duc
- vidéo sur la cathédrale d'Orléans